AIT SAADA, mon village natal

AIT SAADA, mon village natal

Récits et Images de la lointaine Kabylie ou les Chroniques d'un terroir déchiré entre traditions et modernité.


L'enfant tombé du ciel

Publié par AIT MOHAND Idir sur 20 Septembre 2008, 22:26pm

Catégories : #Mes articles

 

Cette histoire que je vais raconter m’a ému et m’a donné à réfléchir. Une bonne leçon de morale à méditer sur le bien et le mal.

Nous étions un groupe, tous du même village, à être conviés à un couscous par Loucif Idir, restaurateur au 15ème arrondissement de Paris. Parmi les invités assez nombreux, Kadi Mouloud me présenta quelqu’un et me demanda si je le connaissais. J’ai répondu que je n’avais pas eu le plaisir de le rencontrer avant ce jour. Alors, Kadi Mouloud faisant signe de sa main vers l’autre :

 - Je te présente Newi et d’ajouter, le jeune homme c’est le fils de Da Amirouche.

Quelle surprise ! Je n’en revenais pas car ce nom me rappela l’adolescent Newi, quémandant sa nourriture auprès des gens du village, en échange de travaux champêtres ou autres.

Tout petit, il était venu en compagnie de son père ouvrier saisonnier en quête d’un travail. Ils vivaient misérablement, ne parlaient pas le kabyle et dormaient dans une sorte de préau "Ahanou nath Imloul" qui servait d’abri par mauvais temps aux gens du village ou de passage.

Voilà qu’un jour au petit matin, l’enfant sanglotait à côté de son pauvre père décédé pendant la nuit. On ne saura jamais qui ils étaient ni d’où ils venaient. Une femme, en l’occurrence, El Djouher Loucif qui passait par là de bonne heure, eût pitié du petit et l'avait emmené chez elle, puis l’adopta jusqu’à son adolescence.

Arriva le jour où en compagnie d’autres personnes du village, Newi rejoignit Paris à la recherche d’un travail. Mon père qui avait déjà un certain statut, l’accueillit et le prit en charge comme il l’avait fait pour d’autres en attendant de lui trouver un emploi. A cette époque, mon père agissait par devoir et humanisme envers les proches.

Dès son arrivée à Paris, il récupéra d’abord son neveu Yahia perdu de vue depuis de longues années, laissant dans l’abandon sa mère et ses deux sœurs. Mon père avait également sous sa protection son beau frère Boukhalfa Aoudia ainsi que son cousin Ahmed. Je n’apprendrais toutes ces bonnes actions que par l’intermédiaire des gens, mon père n’en parlait jamais.

Newi, se sentant redevable envers moi, ne me lâcha pas et tenait à me raconter son histoire tout en s’excusant s’il m’importunait. Il m’apprendra beaucoup de chose sur mon père, comment il le protégea et l’aida au-delà des limites. A son arrivée, Newi avait reçu de la part de mon père le même traitement que les autres qui étaient sous sa protection, hébergement et nourriture en attendant de lui procurer un emploi à l’usine où il travaillait.

Le recrutement de Newi ne posa aucun de problème car le chef responsable du personnel Algérien de l’établissement où travaillait mon père, n’était autre que son ami Si Amer Elhafid. Ils avaient été ensemble chez le même employeur pendant les années trente. Mon père fit une coupure avec l’usine, tandis que son ami restera en poste jusqu’à sa retraite.

Au moment d’encaisser la paye, me raconta Newi, mon père était toujours derrière lui tapant de ses doigts sur son épaule pour qu’il lui remette tout le solde. Ensuite, il lui donnait son argent de poche et gardait le reste. Newi, fraîchement débarqué, pensait que c’était normal et que c’était le prix à payer pour l’avoir accueilli, ainsi il ne réclamait rien. Les frais d’hôtel et de restauration étaient réglés à chaque fin de mois par son tuteur.

Les mois et les années s’écoulèrent jusqu’au jour où mon père, atteint d’une maladie en 1957, devait les quitter. Avant son départ, me raconta Newi, il appela tous ses protégés pour le rejoindre dans son petit studio un dimanche matin.

Il les informa de son départ définitif et leur donna la dernière leçon de morale. Tout d’abord, s’adressant à Newi en ouvrant un registre qu’il sortit du placard :

- Voila, ce que tu as gagné, ce que je t’ai remis et ce qui te reste. Puis il sortit d’un tiroir un pactole et le lui présenta en lui disant quelques mots. Hésitant un instant avant de tendre la main, Newi n’en revenait pas et mon père de rajouter :

- Je crois t’avoir suffisamment orienté pour que tu puisses continuer sur cette voie si tu es un homme, si par malheur la tentation t’emporte, je ne pourrais rien faire, tu le regretteras un jour.

Les conseils donnés à Newi ne servirent à rien, sitôt après la leçon il oublia tout. En possession de tant d’argent, il n’hésita pas à s’en servir. Ayant goûté aux plaisirs, en un laps de temps il ne lui restera plus rien. De là, commencèrent ses déboires, de mauvaises fréquentations à autre chose, Newi sombra dans la médiocrité.

Les années passèrent, comment avait-il fait pour se ressaisir jusqu’à s’intégrer totalement et réussir sa vie parisienne, je n’en saurai pas davantage. J’aurais aimé le questionner, mais Newi n’en dira pas plus.

A l’occasion de cette rencontre hasardeuse, Newi tiré à quatre épingles, parlant un français correct, insista pour m’inviter chez lui. Il tenait à me présenter à son épouse ainsi qu’à ses enfants, tous des français habitant la région Parisienne.

Newi avait émigré vers 1950 et cette rencontre a eu lieu un Dimanche du mois Novembre de l’année 1991 autour d'un couscous royal gracieusement offert par l'admirable Loucif Idir que Dieu ait son âme.

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